Le luxe à la française

Illustration Le luxe à la française

L’essence du luxe français prend racine sous le règne flamboyant de Louis XIV, cependant, c’est au XIXe siècle que des marques emblématiques telles qu’Hermès ou Louis Vuitton émergent avec éclat. Au fil du temps, ces symboles d’élégance et de raffinement se sont hissés vers des sommets inégalés. Aujourd’hui, il est temps de revisiter avec passion cette histoire singulière et captivante.

Les racines historiques du luxe à la française

L’impulsion initiale émane du flamboyant Roi Soleil lui-même. En l’année 1665, lors de la fondation de la Manufacture royale des glaces de miroirs, qui évoluera plus tard en la prestigieuse Compagnie de Saint-Gobain, Louis XIV, assisté de son ministre éclairé Jean-Baptiste Colbert, érigea un véritable écosystème, à la fois social et économique. En centralisant tout autour de sa personne et de sa Cour à Versailles, il créa une unité de lieu propice à la concentration des richesses et des meilleurs talents artisanaux, tous voués à la quête insatiable de paraître.

Le principe fondamental des grandes manufactures (Saint-Gobain, Gobelins, Sèvres, etc) était plutôt simple en apparence : s’inspirer des savoir-faire et des techniques étrangers les plus prestigieux pour ensuite produire ces objets sur le sol français, puis les exporter. Ainsi, dès la fin du XVIIe siècle, Paris éclipsa Venise en tant que référence pour les miroirs d’exception.

Cependant, la Révolution de 1789 vint mettre un terme brutal à cette réussite industrielle. Si le savoir-faire n’était pas entièrement anéanti, les artisans se trouvèrent dépourvus de clients pour leurs créations. Les manufactures royales, privées de leurs privilèges, durent se réinventer en se tournant vers des productions moins nobles afin de survivre.

Un tournant décisif survint avec la Révolution de Juillet 1830, qui favorisa la promotion de la « classe moyenne » et vit l’avènement de la méritocratie avec la célèbre maxime « enrichissez-vous ». Cette évolution engendra une autre rupture : désormais, c’était l’artisan-créateur qui dictait le goût, et non plus le client. Ce dernier se rendait à l’atelier de l’artisan pour acquérir des pièces préexistantes ou pour solliciter une personnalisation sur mesure.

Ce renversement de paradigme donna naissance aux grandes maisons de luxe françaises (telles qu’Hermès en 1837, Cartier en 1847 et Louis Vuitton en 1854), qui satisfaisaient à la fois une clientèle royale et des bourgeois fortunés, tout en cherchant activement à élargir leur sphère d’influence. Une tendance qui s’accéléra notamment après la Grande Guerre, propulsant la renommée du luxe à la française (Ponant en est un bon exemple) vers de nouveaux horizons.

La dernière étape de cette fascinante histoire débute dans les années 1970. L’essor fulgurant du pouvoir d’achat dans les pays émergents se présente alors comme une opportunité de croissance sans précédent pour les prestigieuses maisons de luxe françaises. Toutefois, pour prospérer et conquérir le monde, il fallait une gestion et une stratégie singulières. Le modèle existant, développé aux États-Unis pour les biens de consommation courante, s’avéra inadéquat : une expansion de la marque risquait d’entraîner une banalisation de ses produits, menaçant ainsi son image de luxe inégalé.

Faire croître la marque pour en faire un produit de masse ou bien rester confidentiel pour préserver l’exclusivité ? Face à ce dilemme, les maisons françaises se mirent en quête d’une troisième voie. Certaines, à l’instar de Louis Vuitton et Cartier, prirent alors l’audacieuse décision de concevoir un modèle de gestion inédit : être à la fois le choix ordinaire des êtres extraordinaires et l’exceptionnel choix des êtres ordinaires. Cette « stratégie du luxe », comme l’ont souligné Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer dans leur ouvrage Luxe oblige (Paris, Eyrolles, 2008 et 2012), connut un succès incommensurable : en 1977, le chiffre d’affaires de Louis Vuitton avoisinait les 10 millions d’euros… pour atteindre plus de 10 milliards d’euros en 2018. Ainsi, la grandeur du luxe français s’est nourrie de la rencontre entre un marché mondial florissant et une stratégie audacieuse et puissante.